La mémoire gravée
Comment peut-on oublier ? Je ne sais pas ; s’il y a un remède, je ne suis pas hostile. Qu’on me donne le remède ; qu’on me dise !
Charlotte CHAPIRA, déportée à Auschwitz
Oublier, remédier, créer ?
Avec ses moyens – ceux, faibles face à l’histoire, que constituent la pratique d’un art et la connaissance de l’histoire de cette discipline -, Isaac Celnikier ne montre pas une limite ; du moins, ne permet-il pas à celle qu’il montre d’occuper dans notre espace et notre temps une place et un moment que nous pourrions regarder comme des objets. Je regarde ses œuvres ; elles contestent jusqu’à mon droit de m’ériger en sujet.
Plus de vingt ans durant, il a hésité à mettre en œuvre les enseignements reçus après-guerre aux Beaux-Arts de Prague, vacillant peut-être devant la possibilité de confier à cette conception moderne de la création en art, la tâche de figurer ce qui pour lui ne pouvait ni ne devait l’être.
Avec donc ces moyens récusés et ce combat contre lui-même, il a traversé le demi-siècle qui de 1945 à la fin des années 1990 s’avançant bariolé en tête de ses propres triomphes matériels et technologiques, reléguait le tragique avec la tragédie.
Ce fut pour les uns le moment de se souvenir, pour les autres d’oublier.
Pour Isaac Celnikier, ce fut le moment de passer de la peinture à la gravure, d’abandonner en route son talent naturel, ses puissances picturales acquises, la polychromie… de limiter son ambition esthétique à une imitation qui lui appartiendrait en propre, et d’un seul mouvement, de purger la gravure sur cuivre des techniques qu’elle offre comme des vertiges visuels qu’elle promet.
Cette ascèse créatrice, devant nous, fait-elle mémoire, à l’équilibre entre blanc et noirs de l’œuvre gravé?
A la vulgate qui a traîné tout au long de la deuxième moitié du XX° s : « Peut-on écrire – créer – après Auschwitz », Isaac Celnikier répond non en dessinant « d’après » l’évènement, mais en travaillant la possibilité d’un après, de mémoires inquiètes de l’absolu, vibrantes et inconciliables.
Isaac CELNIKIER - "La mémoire gravée"
Ensemble de pointes sèches et eaux-fortes imprimé et édité en 1994 par Pierre LALLIER, directeur de L’ATELIER GEORGES LEBLANC, rue Saint-Jacques, Paris 05.
24 gravures originales, titrées, numérotées et signées par l’artiste, imprimées sur Arches 50 x 65cm, présentées en coffret, et justifiées : 120 exemplaires de 1 à 120, plus 25 E.A. numérotes de I à XXV.
1 – Tous ensemble (40 x 33)
2 – Détresse (30 x 40)
3 – Massacre du 28 Juin 1941 (La synagogue – Byalistok) (40 x 50)
4 – Retour des torturés (40 x 33)
5 – Les fiancées juives (33 x 39)
6 – Otages du ghetto de Bialystok (Février 43). (33 x 40)
7 – Nuit de départ (33 x 40)
8 – Massacre du 16 Août 1943 (40 x 50)
9 – Gina Frydman (40 x 50)
10 – Lutte ( (33 x 40)
11 – Sans retour (40 x 50)
12 – Alles ausziehen* (40 x 50)
13 – Knieboige (Octobre 1943 arrivée à Stuthoff) (39 x 36)
14 – Zum Bade ! (33 x 40)
15 – Arrivée à Birkenau (40 x 50)
16 – Rasage – Tatouage (171870…) (40 x 50)
17 – Blocksperre** (40 x 33)
18 – Jour de sélection (40 x 33)
19 – Zum Bade ! (37 x 40)
20 – La fin de Janusz Korczach (39 x 33)
21 – L’abîme (40 x 33)
22 – Arrivée de Sachsenhausen (Février 45) (37 x 50)
23 – Moi parmi eux (Départ de Flosenburg Avriil 1945) (20 x 30)
24 – A travers les cimetières (40 x 50).
*Ausziehen : « déshabiller »
**Blocksperre : « couvre-feu »