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“Dits de la jeune fille et de l’homme” – “Words of the young girl and the man”

Poème en prose de Guillevic

Prose poem by Guillevic

320,00 400,00 

A PROPOS DE L'OEUVRE / About the artwork

Poème en prose de Guillevic

Prose poem by Guillevic

Livre d’artiste, édition originale enluminée.
8 mines de plomb originales rehaussées. L’Atelier Contemporain éd, Paris, 1996.

Justification :

Edition originale, composée en Bodoni corps 21, achevée d’imprimer le 21 Octobre 1996 par Gérard Lejeau à Paris, justifiée : 17 exemplaires in quarto raison à la Française, dont 5 têtes sur Auvergne avec 8 mines de plomb réhaussées au lavis de Robert Clévier : I à V : 12 ex. sur Velin avec 3 mines de plomb réhaussées au lavis : 6 à 17, tous signés par l’auteur et l’artiste. 5 hors commerce : A à E.
Emboitage Duval cartonné ; eaux-fortes estampées par l’atelier Leblanc rue saint Jacques, Paris 05. Etat des livres : neuf

A vendre / For sale :

Prix unitaire TTC / unit price

Têtes : 400 €
Arches : 320€

Présentation :

Le projet d’une œuvre commune voit le jour dès la première rencontre du peintre et du poète fin 1995. Ce sera « Dits de la jeune fille et de l’homme », poème en prose inédit.

Pour parler des peintres, Guillevic dit tout d’abord qu’il a « l’oeil visuel, si l’expression n’est pas absurde, comme on dit une mémoire visuelle. (.) Les peintres comptent pour moi. Je n’ai pas eu un peintre de prédilection, mais dans ce domaine comme dans d’autres, j’ai écarté l’emphase et la grandiloquence. Rembrandt me touche. J’ai eu longtemps dans ma chambre la reproduction d’une Vierge du Gréco. (.) Si j’ai eu un maître en peinture, c’est peut-être Cézanne. Il a contribué à me former dans la mesure où il m’a aidé à me cerner, à me centrer ». (in « Choses parlées », Champ Vallon éd.)
De fait, Guillevic n’a jamais cessé d’oeuvrer avec des peintres : PICASSO, mais celui-ci interrompt son travail avant terme ; DUBUFFET pour « Elégies » et « Les Murs », PIGNON, pour la couverture de « L’Homme qui se ferme », Fernand LEGER pour « Coordonnées », MANESSIER pour « Cymbalum », UBAC .
En 1995, c’est dans une sorte d’urgence et de calme déterminé qu’il engage une conversation avec Robert Clévier ; ils évoquent leur Bretagne – couleurs, sons, matités, stridences, tout l’ignoré qui demeure, et l’attente. Dans une lettre du printemps 1996 adressée à l’artiste, Guillevic dit sa « confiance » dans la suite du travail et son « impatience » de voir le travail aboutir : « A tout ce qui m’entoure / je donne mon silence. Et le temps / est suspendu ».

Presentation :

The project of a common work is born from the first meeting of the painter and the poet in late 1995. It will be “Dits de la jeune fille et de l’homme”, an unpublished prose poem.

To speak about the painters, Guillevic says first of all that he has “the visual eye, if the expression is not absurd, as one says a visual memory. (.) Painters count for me. I did not have a painter of predilection, but in this field as in others, I rejected the emphase and the grandiloquence. Rembrandt touches me. For a long time I had in my room a reproduction of a Madonna by Greco. (.) If I had a master in painting, it is perhaps Cézanne. He contributed to form me insofar as he helped me to define myself, to center myself”. (in ” Choses parlées “, Champ Vallon éd.)
In fact, Guillevic never stopped working with painters : PICASSO, but this one interrupted his work before the end ; DUBUFFET for ” Elégies ” and ” Les Murs “, PIGNON, for the cover of ” L’Homme qui se ferme “, Fernand LEGER for ” Coordonnées “, MANESSIER for ” Cymbalum “, UBAC.
In 1995, it is in a kind of urgency and determined calm that he engages in a conversation with Robert Clévier; they evoke their Brittany – colors, sounds, matities, stridencies, all the ignored which remains, and the waiting. In a letter of spring 1996 addressed to the artist, Guillevic says his “confidence” in the continuation of the work and his “impatience” to see the work succeed: “To all that surrounds me / I give my silence. And time / is suspended”.

Extrait :

« Je crois que c’est dans une chambre haute et glacée, d’où l’on voit une plaine un peu étreinte par le ciel et les collines, une plaine où, le soir, verser les écœurements du jour.
Et on ne sait jamais si elle les reçoit, la plaine, ou ce qu’elle en fait. Mais elle est là et c’est déjà beaucoup quand , le soir, l’écœurement remonte.
Une plaine et l’on sait qu’on la retrouvera, le soir, qu’on lui dira tout. et l’espoir est là, quand même, d’être justifié.
(…) Et alors, certainement qu’il pèsera très lourd dans les comptes, et c’est lui qui approuvera de la tête quand il s’agira pour chacun de soulever sa couche de terre, lui qui décidera quand sera venu pour chacun le temps du repos. Il sait, et moi, je voulais m’approcher davantage de lui, je voulais entrer dans la chambre, oser prendre la main de la jeune fille – mais tout se passe maintenant ailleurs ».

Excerpt :

“I think it is in a high and icy room, from which one sees a plain a little embraced by the sky and the hills, a plain where, in the evening, pour the sicknesses of the day.
And one never knows if it receives them, the plain, or what it does with them. But it is there and it is already a lot when, in the evening, the disgust goes up.
A plain and one knows that one will find it again, in the evening, that one will tell it everything. and the hope is there, nevertheless, to be justified.
(…) And then, certainly, he will weigh very heavily in the accounts, and it is he who will approve with his head when it will be a question for each one to raise his layer of earth, he who will decide when will have come for each one the time of rest. He knows, and I wanted to get closer to him, I wanted to enter the room, to dare to take the girl’s hand – but everything is happening elsewhere now.

Notes du peintre (- Carnets de travail) :

Décembre 1995. Rendez-vous Chez Guillevic.
Il se tait, prépare ses forces. C’est un corps, une poitrine de paysan, un chêne de talus, têtes compactées, encastrées successivement les unes dans les autres après chaque tronçonnage. Les bosses évoquent les plaques d’écorce que ces arbres produisent pour couvrir leurs plaies, peaux lisses de renaissances séparées par des fissures. Tronc, membres enfantins. Phrases : les sons tout à coup se précipitent les uns contre les autres, forment une matière légère hachée qui se condense en fractions de mots du dictionnaire.

Il parle comme il écrit, pour se jouer de la maladie qui le contraint à contrôler sa respiration, et m’inviter à son jeu. Le dictionnaire, la maîtrise du souffle.
Il se lève, cherche quelques livres réalisés par des peintres, se ravise et se rassoit, ouvre le tiroir de son bureau, en sort une liasse de manuscrits classés avec soin dans des chemises. Déranger, reclasser, il en dit un.

J’écoute. Ses textes ont laissé aux peintres la plus mince chance d’exister. Mon intérêt pour le défi grandit, ce qui ne lui échappe pas ; il sait l’écho que sa voix trouve et vient recueillir chez ses auditeurs. Pêcheur à la mouche plus que fauve.

Il s’attarde sur quelques – uns de mes dessins, sans rejeter les autres. Ces indications suffisent. Puis nous restons face à face.
Avec « Dits de la jeune fille et de l’homme », il s’agit de marche, des pas l’un après l’autre ; je songe à Giacometti, qui terminait toutes ses phrases par une sorte de « non ! », ou « non. », manière d’indiquer le mouvement en avant. Je lui dit mon intention de travailler des chairs – le dessin – discontinues, sans « fond », constituant à elles seules tout le champ. Pas de figures, pas de socles ; des concentrés de présence et d’absence de matière qui tiennent par une pure énergie de gravité – le vide parfois, la matière la plus pesante, la plus structurée.

Février 1996. Aucun désir de graver à l’aquatinte, ni au burin, technique qui disqualifie les incertitudes. Je lui propose d’en rester aux mines de plomb originales où tous les plans se mêlent fermement, et de limiter l’édition en conséquence ; il accepte.
C’est par la liberté à laquelle il me convie comme on offre un verre, que cet homme me trouble ; est-ce le même homme qui disait en 1975 de la Hongrie et de la Yougoslavie qu’il s’agissait « d’exemples d’un socialisme très viable. » ? Le bureau, son fauteuil, la pièce où il me reçoit, les objets, les couleurs juxtaposées, tout est si commun et naïf, que je me surprends à chercher des indices qui révèleraient une mise en scène.

Nous parlons un instant de la Bretagne, qu’il dit « connaître peu » ; du Breton, langue maternelle et interdite ; de sa décision, dès 7 ou 8 ans, de renverser l’ordre des choses, de « raréfier le français ».
Quelque chose de mon passé sourd dans sa voix quand il lit ses poèmes. Je lui confie qu’à chaque fois que mon grand-père, pour conclure une réunion de famille, psalmodiait des chants bretons, j’ai entendu battre un paysage intérieur, des générations une clarté ; mais qu’une sorte d’affliction m’étreignait aussitôt, qui ne m’abandonnait qu’après avoir étendu sur le jardin et abandonné aux eaux cuivrées du Steïr une tristesse sans objet. Le coeur de ces chants était gros, et ma carcasse, du linge pour les caresses. Cette langue que je ne comprenais pas avait peut-être le charme de ce qui se retire ; contenus aux limites des châteaux intérieurs des adultes, d’un éternel présent qu’ils déposeraient sans doute à leurs pieds le jour de leur disparition mais qui n’entrerait pas dans nos chairs, ses murmures et ses demi-mots, démis par exténuation, informes comme les reliefs des peintures de Tanguy, désignaient a contrario le français comme la langue de l’avenir, l’énergie mais aussi « l’écoeurement ».
Enfances. Il évoque son départ soudain du Morbihan, sa découverte des grammaires allemandes, puis m’interroge sur mes premiers dessins. Je me souviens à haute voix de ce moment où sans effort, immédiatement, le crayon faisait « apparaître » quelque chose ; orgueil et naïveté, je soufflais sur cette braise ; des cendres, mes seuls moments d’existence réelle.
Entre deux cambriolages, j’observais la machine à vivre, le travail de la viande. Mon désir fixait le gris des cieux des eaux, des toits, des rivières envasées, espérant une exécution colorée. Du désir à l’effroi – la propension des couleurs à gouverner mes émotions me pétrifiait – je me suis résolu, vers 7 ans, à maîtriser cette tyrannie et vu cette entreprise comme ma vie elle-même.

Que cherchions-nous ? Déboucher les oreilles, ouvrir le regard. (.)
Par courrier, il me dit son « impatience » et son « désir d’aboutir », d’aller vite.

Notes of the painter (- Notebooks of work):

December 1995. Appointment at Guillevic’s.
He keeps silent, prepares his forces. It is a body, a farmer’s chest, an oak of slope, compacted heads, successively embedded the ones in the others after each cutting. The bumps evoke the sheets of bark that these trees produce to cover their wounds, smooth skins of rebirths separated by cracks. Trunk, childish members. Sentences: the sounds suddenly rush against each other, form a light chopped matter which condenses into fractions of words of the dictionary.

He speaks as he writes, to play with the illness that forces him to control his breathing, and to invite me to his game. The dictionary, breath control.
He gets up, looks for some books made by painters, changes his mind and sits down again, opens the drawer of his desk, takes out a bundle of manuscripts carefully classified in folders. To disturb, to reclassify, he says one.

I listen. His texts have left the painters the slimmest of chances to exist. My interest in the challenge grows, which does not escape him; he knows the echo that his voice finds and comes to collect in his listeners. He is more of a fly fisherman than a wildcat.

He lingers on some of my drawings, without rejecting the others. These indications are enough. Then we remain face to face.
With “Dits de la jeune fille et de l’homme”, it is a question of walking, of steps one after the other; I think of Giacometti, who ended all his sentences with a sort of “no!”, or “no.”, a way of indicating the forward movement. I told him my intention to work with discontinuous flesh – the drawing – without “background”, constituting the whole field by itself. No figures, no bases; concentrates of presence and absence of matter which hold by a pure energy of gravity – the vacuum sometimes, the heaviest matter, the most structured.

February 1996. No desire to engrave with aquatint, nor with burin, a technique that disqualifies the uncertainties. I suggest to him to stay with the original lead pencil where all the planes are firmly mixed, and to limit the edition accordingly; he accepts.
It is by the freedom to which he invites me as one offers a drink, that this man troubles me; is this the same man who said in 1975 of Hungary and Yugoslavia that they were “examples of a very viable socialism”? The office, his chair, the room where he receives me, the objects, the juxtaposed colors, everything is so common and naive, that I find myself looking for clues that would reveal a staging.

We talk for a moment about Brittany, which he says he “doesn’t know much about”; about Breton, his mother tongue and forbidden language; about his decision, at the age of 7 or 8, to reverse the order of things, to “make French scarce”.
Something of my past can be heard in his voice when he reads his poems. I confide to him that each time my grandfather, to conclude a family meeting, chanted Breton songs, I heard an interior landscape beat, generations of clarity; but that a kind of affliction embraced me at once, which abandoned me only after having spread on the garden and abandoned to the coppery waters of the Steïr a sadness without object. The heart of these songs was big, and my carcass, cloth for the caresses. This language that I did not understand had perhaps the charm of what withdraws; contained at the limits of the interior castles of the adults, of an eternal present which they would undoubtedly deposit at their feet the day of their disappearance but which would not enter our flesh, its murmurs and its half-words, dismantled by extenuation, shapeless like the reliefs of Tanguy’s paintings, indicated a contrario the French like the language of the future, the energy but also “the disgust”.
Childhoods. He evokes his sudden departure from Morbihan, his discovery of German grammars, then asks me about my first drawings. I remember aloud this moment when without effort, immediately, the pencil made “appear” something; pride and naivety, I blew on this ember; ashes, my only moments of real existence.
Between two burglaries, I observed the machine of life, the work of the meat. My desire was staring at the grey of the skies of the waters, the roofs, the silted-up rivers, hoping for a colored execution. From desire to dread – the propensity of colors to govern my emotions petrified me – I resolved, at about 7 years old, to master this tyranny and saw this enterprise as my life itself.

What were we looking for? To unblock the ears, to open the eyes (.)
By mail, he tells me his “impatience” and his “desire to succeed”, to go quickly.

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